Discours du samedi 12 novembre 2005
Discours d'Alain Charbonnau:
Prononcer le mot enfance, c'est faire naître instantanément un flux d'images. Elles attendrissent, amusent, émeuvent, réjouissent le coeur, rappellent aussi quelques moments difficiles vécus à l'école ou pour certains, éloignés d'une famille.
L'enfance en milieu scolaire est un lieu de notre vie où nous partageons les mêmes classes, la même cour de récréation, les mêmes espoirs comme les mêmes déceptions. Notre insouciance du lendemain nous pousse à vivre intensément chaque moment de vie pour autant qu'il soit agréable.
Notre scolarité des années 60 étaient le crépuscule d'un système que bientôt viendraient bouleverser les évènements de mai 68. Nous nous y sentions malgré tout bien et nous nous adaptions au système avec son lot de rire et de pleurs. Notre parcours durant ces années de primaire était un peu un franchissement du noir et blanc à la couleur, d'un monde à la Doisneau vers un monde plus technique avec la prépondérence naissante des télécommunications.
Dire que tout était rose serait mentir mais, nous avons encore la nostalgie des odeurs de cahier, d'encre, de colle ou d'ardoise tout autant que les bases que nous apprenions comme la lecture, l'écriture et le calcul et, qui manque si souvent à beaucoup de nos enfants et pas des plus bêtes. Oui, globalement nous avons une bonne image de notre passage à Ferdinand Buisson même si, par moments, nous avions le privilège de rejouer la bible en tendant la joue gauche après la droite et vis versa. Je ne dirai pas que nous les méritions toutes mais le système didactique était priviligié à celui de la participation où toute faute était sanctionnée soit de manière claquante soit en lignes soit les deux.
Nos récréations nous permettaient de confronter nos qualités d'adresse, de course, d'agilité avec les osselets, les billes, les gendarmes et les voleurs, les 4 coins etc... cette cour et son préau étaient notre exutoire, notre retour aux joies les plus simples, aux moments de partage.
40 ans après, il nous reste dans cet effort de mémoire, pas des plus simples pour certains, mais où le rappel de mémoire de certains ravivent la petite flamme, la petite lumière logées dans un coin de notre cerveau. Et, tout remonte à la surface avec son lot d'émotions et d'éblouissements:les visages, les situations, les histoires avec un petit ''h'', les bleus au corps et à l'âme.
Les photos de classe nous ont aidé pour beaucoup dans cette recherche d'identification prélude aux retrouvailles et au partage de ce parcours de vie. Photo après photo nous dessinions la trame de cette journée. Le blog fut l'élément fédérateur où tout un chacun pût y puiser des informations ou des souvenirs.
L'organisation de cette journée nécessita la participation de tous soit par des éléments rapportés aux photos, soit par des engagements concrets. Dès le mois de juillet nous mettions en place une 1ère réunion où nous jetions les bases de cette journée comme la date et le lieu de ces réjouissances.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont apporté une pierre à l'édifice et, même, pour certains une passion qui m'a étonné, comme les frères Putelat. Je tiens tout de même à remercier mes premiers soutiens à la genèse de cette histoire qu'ont été mon frère et Patrick Salinié; Patrick Delmas qui m'a secondé dans toute la partie administrative; l'infatigable Corinne Lauvie, directrice de l'école maternelle Jean Leclaire et compagne de Pierrot Sanfourche, qui nous a apporté son travail de recherche sur l'abri joyeux,la décoration de cette salle ainsi qu'une petite surprise pour plus tard.
Merci à Luc Czépaniak, directeur actuel de l'école Ferdinand Buisson et à la mairie de Sarlat pour l'utilisation des locaux de l'école, ce matin
Merci à tous ceux qui ont apportés les photos permettant de reconstituer le puzzle de notre parcours scolaire ainsi qu'à ceux qui ont offert des places pour l'hébergement.
Bonjour et merci à toutes ces dames qui ont bien voulu accompagner leur mari ou compagnon dans cette réunion et un dernier merci à Jacqueline et Roland Baron, qui représente le corps enseignant et nous font le plaisir d'être parmi nous et, à qui je vais laisser la parole.
Mais avant, j'aimerai vous citer un proverbe chinois, d'un illustre inconnu:
-Dans l'enfance tous les hommes sont frères, dans l'âge mûr chacun tire de son bord.
Bonne journée à tous, bon appétit et place aux réjouissances.
Discours de Mr Roland Baron:
A des paroles bien choisies et qui sonnent juste, je vais essayer de répondre simplement. Peu enclin à fairedes discours, j’ai tenté de trier quelques souvenirs d’un temps déjà ancien (plus de 40 ans) et si présent à la foisdans nos mémoires.
En cette année 1961, entre l’école de campagne paisible (trop peut-être) et le groupe scolaireFerdinand Buisson, le contraste fut saisissant, le jour de la rentrée des classes en particulier.
Une foule de plus de 400 élèves s’agitant et hurlant à qui mieux mieux vous accueillait dans unvéritable goulet d’étranglement. L’espace vital manquait, c’était une évidence…
Nous étions trois jeunes instituteurs arrivés la même année, MMTardy, Nardou et moi-même,reçus chaleureusement, paternellement, par M.Fournier qui assumait la double direction : collège et écoleprimaire de garçons.
Onze enseignants du cours préparatoire à la classe de fin d’études, micro société assez hiérarchisée ausein de laquelle les instituteurs nouvellement nommés devaient faire leurs preuves. Je n’ose pas dire s’imposer,le mot n’était pas à la mode. Le respect dû aux anciens était à la base de nos comportements et le travail enéquipe n’était point envisageable. Le matériel pédagogique de nos classes était des plus pauvres, les anciensétant les mieux pourvus tout naturellement. Il fallait, par exemple, demander chapeau bas, qu’on voulût biennous prêter la célèbre carte de France Vidal-Lablache pour un cours de géographie sommaire: elle devait biensûr être restituée dans le quart d’heure suivant son exploitation.
Le tutoiement n’était point de règle, sauf avec Pierre Pouymat, de 11 ans notre aîné, un collègueparticulièrement sympathique. La classe de perfectionnement lui était confiée : 18 enfants entassés dans unepièce qui avait dû être autrefois le débarras de la maison du directeur. Sa tâche n’était pas aisée dans cette classeunique. Il vous adresse un salut amical de sa chambre d’hôpital.
Nous nous adressions avec déférence aux collègues en poste depuis des années, tous chevronnésbien sûr, certains tenant à le faire savoir ici et là. Par suite et automatiquement, des tâches particulièresincombaient aux nouveaux venus : la surveillance de la cantine – assez pénible – et des interclasses parexemple, sans oublier la préparation d’un spectacle à la fin de l’année scolaire (Pierre et le loup).
Que dire des élèves ? Je garde le souvenir d’enfants, intéressés, à l’esprit vif, ouvert. Ils avaientenvie d’apprendre. Nous n’étions pas, à l’époque, concurrencés par la télé-culture, les jeux vidéo et Internet.
Dans une classe surchargée – 42 enfants de C M 2 -, l’ordre et la discipline s’imposaient. Le maître,comme on disait à l’époque, n’avait qu’un but: que chaque élève atteigne le meilleur niveau possible. Les loisde la vieille école s’imposaient et il arrivait que la main fût leste. Autre temps, autres moeurs…Chacun savérité !
Selon les propres mots de Mme Durand, remarquable maîtresse du cours préparatoire, exigeanteet dévouée, maternelle, « il fallait que ça rentre, que tous les élèves apprennent à lire, écrire et compter avant lafin de l’année scolaire ».Dans les années 60, entre 35 et 38 élèves, en moyenne, lui étaient confiés. Agée de 92ans ,elle regrette de ne pouvoir être là, pour raison de santé.
Enseigner me paraît beaucoup plus difficile aujourd’hui et chacun de nous en connaît les raisons.Je voudrais vous citer à ce sujet un passage du dernier livre de Alain Bentolila, un linguiste spécialiste del’illettrisme:
« Si nous voulons que nos enfants construisent un monde un peu meilleur que celui que nous leurlaissons, il nous faut tout miser sur l’école et avoir pour notre système éducatif cette absolue exigence : faire detous les élèves qui lui sont confiés des résistants intellectuels capables de rigueur et de discernement.La valeur de nos vies vaudra exactement ce qu’auront été nos efforts pour leur donner le goûtd’apprendre avec exigence et de partager avec bienveillance. »
Le temps, notre maître à tous, s’écoule bien vite et je ne voudrais pas vous lasser avec messouvenirs. Je ne souhaite pas m’enfermer dans la nostalgie, la mélancolie, négatives le plus souvent.
L’école Ferdinand Buisson nous a tous marqués de son empreinte. Elle nous rassembleaujourd’hui pour le meilleur et c’est bien ainsi. Avec les mots du poète latin Horace, je vous dis : Carpe Diem :cueille le jour !
Profitons, au mieux, d’un présent si fugitif !
N.B. : J’ajoute une mention particulière pour Dominique Putelat venu spécialement de l’île de LaRéunion.
En conclusion, je tiens à te remercier publiquement, Alain. Tu as réussi le tour de force, au prixd’efforts manifestes, de nous regrouper ici. Les photos que tu nous as transmises - découvertes ouredécouvertes – nous ont profondément émus. Nous t’assurons de notre amicale reconnaissance !
Tu as évoqué, au début de ton discours, ceux qui nous ont quittés. Je pense en particulier àFrançois Cabanel, Claude Pein, Jean-Luc Levet, Jean-Claude Mingot…et ton cher Claude. N’étant resté àFerdinand Buisson que 3 années, j’en oublie sûrement…et je vous prie de m’en excuser.
Bonne journée à tous !»
P.S. : Je me permets d’ajouter d’autres phrases du livre d’Alain Bentolila « Tout sur l’école »paru en 2004. Elles sont prémonitoires dans le contexte des évènements actuels.
« Le temps est sans doute venu où il nous faut arrêter de faire semblant. Faire semblantd’éduquer nos enfants alors que l’on abandonne leur jeune intelligence au pouvoir destructeur de médiasindigents; faire semblant de conduire une vraie politique d’éducation alors que l’on se contente de retouchesinsignifiantes pour calmer les esprits et maintenir le statu quo ; faire semblant de valoriser la fonctiond’enseignant alors qu’on en détruit le professionnalisme ; faire semblant d’aider les plus faibles alors que l’onrenforce leur ghettoïsation ; faire semblant de croire que l’école peut, telle qu’elle est,se substituer à l’éducationet à l’accompagnement familial ; faire semblant, enfin, de confondre les inacceptables inégalités sociales avecde prétendues spécificités culturelles.